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L’Estran

 

Sylvie SAUVAGEON

Juin 2024

 

 

 

L’Estran est une petite pièce en forme de chapelle, une sorte d’oratoire laïque et poétique, un lieu de recueillement intime et personnel.

C’est aussi un lieu de transition, un entre deux, un lieu de pensée et d’échange, un lieu pour parler aux souvenus, un lieu pour soi.

 

Les cimetières ont toujours été pour moi des lieux familiers, j’aime m’y promener, flâner, laisser divaguer mes pensées. Je vais régulièrement marcher dans le grand cimetière tout près de la maison. Lorsque je m’éloigne de mes « terres », les cimetières sont souvent les premiers lieux que je visite : ils parlent des habitants, ils racontent l’histoire du pays. La forme des tombes, les objets posés sur la dalle, la stèle, les noms gravés, tous ces éléments disent ce qu’est la vie ici. Le cimetière est rattaché à la cité, il en est la mémoire.

 

Je suis toujours très émue par les attentions portées aux souvenus. Les tombes nous parlent des absents, des vivants qui leurs témoignent de l’affection, et de ceux qu’on oublie.

Le cimetière comme lieu de repos et de méditation, espace clos, silencieux, apaisé des agressions de la ville. Lieu de promenade et de rencontre... il est mon refuge ... lieu de soin et d’attention où même l’abandon peut devenir tendresse.

 

Je flâne, mon regard se pose sur des photographies, des visages me touchent, images de porcelaine, médaillons parfois brisés, regard sépia qui s’efface et disparait. Je lis les noms et les prénoms soigneusement tracés sur les petits cœurs d’émail blanc.

Plus tard, à l’atelier, je dessine, je prolonge ainsi le temps de rêverie passé au cimetière. La pensée se poursuit : le temps du dessin devient celui de la conversation. Continuer de regarder attentivement ces portraits, caresser le papier de la pointe du crayon, me permet de me rapprocher de ces disparus.

Je pense aux absents, à leurs proches.

 

En dessinant me reviennent en mémoire des objets funéraires, cinéraires, portraits du Fayoum ou ex-voto, statuettes ...

Depuis longtemps le souvenir, la mémoire et la disparition sont des thématiques centrales dans mon travail. Des séries anciennes resurgissent.

Rassembler les dessins, ceux qui témoignent d’un moment présent et ceux qui inventorient des collections d’objets funéraires anciens permet d’unir les souvenus. Je porte le même regard, la même attention, le même soin aux portraits du Fayoum qu’à ces petits portraits photographiques déposés sur les tombes. Ils sont si proches.

 

Le caractère particulier et délicat de ces dessins de disparus m'a paru nécessiter un lieu d'exposition plus intime que les formats de présentation habituels, un lieu permettant un rapport plus personnel, un espace de recueillement. C’est ainsi que j’ai construit une cabine en forme de chapelle intitulée L’Estran pour conserver et accueillir ce travail. 

 

L’Estran est une cabine à taille humaine, un petit isolat individuel où chacun peut entrer et consulter les œuvres archivées.

L’Estran, espace intermédiaire entre la mer et la terre, espace indéfini propre à la rêverie.

L’Estran est ici un espace transitoire entre présents et absents, un entre-deux entre la cité et la lande, entre le bruit et le silence, entre passé et présent, que chacun habitera à sa façon.

L’Estran devient ainsi lieu de repos, lieu de veille et de recueillement où les présents sont habités des souvenus.

L’Estran est une cabine transportable, une petite pièce itinérante dont le contenu évoluera au cours du temps.

 

 

Sur les étagères de ce petit cabinet, vous trouverez des sculptures et des dessins issus de différentes séries aux origines diverses : 

 

Cimetières ici et là : grand cahier de croquis et de textes

 

Le vœu d’après, carnet de croquis (hiver 2016), dessins de recueillement, de silence nécessaire … 

 

Portraits de porcelaine – j’ai pensé à vous : dessins nés suite à de longues flâneries dans les cimetières, d’errances, de pensées, de conversations imaginaires. 

 

Les enfants du lac : nécessité de revenir aux premiers portraits, ceux du Fayoum, mélange de cultures égyptienne grecque et romaine, si présents et si universels

 

Les souvenues (images votives) : fascinée par ces ex-voto si humbles et si touchants, présents dans toutes les cultures, images vernaculaires et populaires, si proche de nous

 

Recueil (Cinéraires) : dessins ou gouaches représentant des cinéraires : boite servant à conserver/protéger la vie qui a été.

 

Les Abris familiers : petites maquettes, souvenirs de petites constructions vues dans une peinture de Giotto, au cimetière de La Ciotat ou de Digne (qui donnera sa forme à l’Estran), la dernière portant les noms : Sauvageon et Cheval se trouve à Mantailles dans la Drôme, mon pays …

Les veilleurs :  petites sculptures de bois et gouaches représentant des personnages debout et silencieux. 

 

Ils disparaissent, série réalisée à partir de plaques photographiques héritées de mon grand-père

 

Ornements : gouaches représentant des ornements funéraires vus dans le Queyras ou au cimetière marin de Sète

 

On trouvera aussi des textes : les séries J’ai lu et Les Dires qui parlent de l’absence, de la disparition, de comment vivre avec les souvenus … mais aussi de l’héritage et de la transmission. 

Sur une étagère : une vielle photo représentant mon arrière-grand-père, marbrier à Loriol.

 

Les morts sont tous nos morts.

 

L’Estran est habité de ces gestes et de ces représentations reçues des anciens. Copier une image, tailler un bout de bois, construire une maquette, conserver précieusement une photo, tous ces gestes étaient là dès l’enfance, hérités des parents et des grands parents, et se sont nourris des rencontres, des voyages et des lectures. 

Nous vivons habités de nos souvenus, de leur passé, c’est par eux que nous sommes debout …

 

En 2021, le fonds de dotation Vendredi Soir, m’a attribué la bourse Emmanuèle Bernheim grâce à laquelle j’ai financé l’Estran. 

Campagne Première me permet aujourd’hui de donner vie à ce projet et de vous le présenter. Je les en remercie chaleureusement.  

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