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« J'étais une enfant qui dessinait tout le temps comme tous les enfants, j'ai grandi et j'ai continué à dessiner, je n'ai jamais arrêté » Sylvie Sauvageon[1]

 

 

 

Depuis le début des années 2000[2]Sylvie Sauvageon a progressivement cessé son activité de peinture pour se consacrer pleinement au travail du dessin et de la sculpture, non parce qu’elle en était lassée, même si cette activité comprenait « trop d'agitation, trop de perturbations, trop d'apparences, je me perdais dans la peinture » dit-elle, mais sans doute parce qu’elle trouvait là, dans le maniement de ses crayons et de ses volumes, une façon ou une échelle plus juste pour elle de s’approcher de ses questions. 

L’atelier qu’elle occupe aujourd’hui se compose de deux pièces en enfilade, qui surplombent une courette. Derrière des draps de coton blanc qui doublent certains murs sont rangés, alignés, les travaux anciens et une grande partie du matériel. Sur des étagères sommaires en fer blanc sont posées des boîtes en carton de différentes tailles qui abritent les travaux sur papier. Quelques meubles anciens dont un bureau, une armoire et de petites vitrines contenant nombre d’objets qui constituent, pour certains, les motifs de son travail : des répliques de caravanes, de petits soldats, de voitures… ; un mur réunit quelques unes des images qui ont inspiré certaines de ses suites : coupures de presse, posters, cartes postales et photographies. Plus qu’un atelier au sens de lieu de production, même si c’est aussi sa fonction, ces deux pièces constituent presque un intérieur ou un cabinet avec une antichambre donnant sur le « bureau des conservations et des réstitutions » comme l’indique un cartel collé sur la porte.

 

Boîtes, Archives, Mémoires

La plupart des boîtes en carton (parfois en bois), contiennent des ensembles de dessins rangés par série, des rouleaux, des blocs de plâtre figurant dans leurs géométries simples des habitations. Quelques unes des séries présentes dans ces boîtes sont en cours, d’autres sont peut-être achevées. Une petite étiquette collée sur l’une des faces de la boîte contient les informations nécessaires à leur archivage. Mais « les classements ne sont jamais parfaits. Il y a, là aussi, des erreurs. Des choses qui n'ont pas de place, d'autres qui ont une mauvaise place… »[3], indique Sylvie Sauvageon. 

La fonction de la boîte, si elle est de protéger et d’abriter les dessins - feuillets de papier fragiles et sensibles à la lumière - permet également de ramasser les séries en un jeu que, le dépliage occasionnel révèle un à un ; et cette entité (boîte de dessins ou dessins dans la boîte) par son épaisseur – pas forcément sa quantité – fait sens. Car ce n’est pas tant le dessin en lui-même, ni tout à fait son sujet qui compte ici, mais les relations multiples qu’entretiennent par la somme les unités. Si la boîte préserve les dessins, elle les dissimule aussi. C’est un principe de « mille-feuilles dormant » que constitue ainsi Sylvie Sauvageon, dessins faits et sitôt soustraits aux regards, stockés, déposés dans ces tiroirs de carton gris fermés – mais non pas scellés – empilés sur les étagères tels des archives. Beaucoup de ces boîtes sont réalisées (construites) par l’artiste qui avoue passer beaucoup de temps à les concevoir, les adapter aux formats des dessins et prendre un soin particulier à les façonner. La boîte n’est donc pas un écrin, c’est un objet visuel en soi que la valeur du contenant ne fait qu’accroître. Ainsi, les piles de boîtes pleines de piles de dessins sont-elles des volumes dans les deux sens du mot : ouvrages contenant pages et sculptures. D’ailleurs certaines de ces boîtes dissimulent parfois des sculptures, en ce cas la boîte est une enveloppe qui redouble le relief qu’elle contient, l’intérieur et l’extérieur s’épousent ou se répondent dans une relation étroite de négatif-positif. 

 

Dessin 

Le dessin, dans sa définition la plus courante, sinon la plus admise, est une pratique de représentation qui use essentiellement de la ligne et parfois éventuellement de surfaces de valeurs permettant de matérialiser des reliefs ou des textures. Cette pratique graphique, la plus ancienne sans doute et la mieux partagée, recouvre cependant différentes formes. Dessiner peut être une façon de chercher une idée ou une structure, de figurer un objet ou un espace par un schéma, de reproduire avec plus ou moins de rigueur ou de réalisme la qualité d’une forme, d’une vue ou d’un support imprimé…  Si Sylvie Sauvageon use de toutes les nuances propres à cette pratique, il semble que ce soit plus particulièrement à la question de la reproduction que s’attache son travail. Dessiner c’est le plus souvent pour elle « refaire » avec des crayons ce qu’elle voit, soit transposer plutôt que copier servilement un objet, un espace, ou une image. Autrement dit, le dessin n’est pas ici un moyen d’inventer des formes  (« Je sais que lorsque je dessine, il ne va rien m'arriver, il ne va rien se passer. »[4]) mais plutôt de les répertorier, redoublant par la ligne et la surface l’aspect perçu de la réalité qui l’environne, et plus précisément encore de la réalité qui la regarde, car les sujets auxquels s’attelle Sylvie Sauvageon sont choisis moins pour leur qualité d’objet que pour la relation particulière qu’elle entretient avec eux. « Tout mon travail est lié à mon rapport au monde (le temps et la taille principalement) », indique Sylvie Sauvageon avant d’ajouter « Pour pouvoir savoir et comprendre où se situent les autres j'ai besoin de m'approprier l'apparence des choses, les images (communes ou personnelles) et de les reproduire. […] Comme si le dessin devenait la preuve de l'existence.»[5]. Dessiner n’est donc pas seulement saisir graphiquement mais c’est se saisir physiquement de ce catalogue intime qu’elle a choisi de compiler. 

Le dessin s’est donc imposé comme un outil de mise à distance de la réalité environnante. Dessiner c’est déplacer en somme, par les contours et les remplissages produits, la nature initiale du motif choisi, qu’il s’agisse d’une photographie, d’un imprimé graphique, ou d’une reproduction d’images. Le dessin unifie et fond ensemble l’hétérogénéité de ces sources, passant au filtre des surfaces coloriées ou gommées leurs différences.

La technique est simple, voire rudimentaire, de même que le sont les outils, mine de plomb et crayons de couleur. Les figures issues de documents sont reportées à vue sur une feuille, soit à la dimension réelle (échelle 1 pour les couvertures de livres de J’ai lu, ou pour des séries telles que Le monde est invraisemblable…), soit à dimension de l’objet réel[6], un coin d’appartement (L’endroit du décor : 70 grande rue de la Croix Rousse.), La caravane bleue à Mers sur Indre, la Volvo du 17 mars 2010. Pour les motifs répétés des rouleaux de papier peint Sylvie Sauvageon avance l’utilisation d’un calque « pour s’y retrouver à peu près, et être raccord… ». Pas d’outil supplémentaire, l’œil et la main. Le travail se fait par étapes, placement des formes et/ou des contours puis remplissage des zones en tentant de restituer la nuance et les valeurs : « Ce travail a quelque chose de laborieux que j'aime beaucoup, comme un artisan qui a son programme pour la journée et qui avance consciencieusement. […] Il n'y a pas de mouvement du corps dû au dessin ou si peu. Tout est presque immobile. […] J'arrête le temps, il ne défile plus. Je ne suis plus en contact avec le monde. Je peux penser au temps qui est passé.»[7]

Le gros de l’activité de réalisation de ces grands dessins, qui s’effectue sur un temps long, occupé à couvrir en avançant pas à pas sur la surface, n’est pourtant rien d’autre que ce que l’on pourrait appeler un coloriage, qui n’évite cependant en rien la question des ratages, repentirs… bien au contraire. Sylvie Sauvageon assume pleinement la « maladresse » de certains travaux car ce n’est pas, une fois encore, la copie parfaite qui l’intéresse mais la restitution globale d’une émotion éprouvée devant tel objet et tel document, une équivalence troublante mais sans jamais chercher le trompe l’œil. Si elle travaille à plat, le nez collé à la feuille, elle sait par contre, par expérience, que l’éloignement dû à la verticalité de l’accrochage atténuera ce que la matière tressée de ses crayonnages donne à voir de près. « Je ne veux pas faire de jolies images. » dit-elle, se méfiant avant tout de l’idée que l’on pourrait se faire d’une soi-disant maîtrise technique. S’il semble bien y avoir un enjeu à de telles réalisations il n’est pas à rechercher dans l’artifice ou l’illusion (dans le paraître) mais bien dans une reconstruction têtue d’un univers où le sujet faisant s’absente du monde, s’immerge jusqu’à se perdre pour mieux retrouver ce qui lui tient lieu de mémoire.

 

Enfance

« Le crayon de couleur a beau être un outil droit venu de l'enfance, ce qu'en fait Sylvie Sauvageon n'a cependant rien d'enfantin.[…] En réalité, Sylvie Sauvageon s'attaque à l'apparence des choses, leur évidence présupposée, ce que l'artiste nomme joliment "l'endroit du décor". Tout ce qui est devant nous, qui nous renvoie son opacité et contre lequel nous n'en finissons pas de buter. »[8]écrit Jean-Louis Roux, à propos notamment des reproductions de lés de tapisserie. Que l’outil et le procédé utilisés soient associés dans l’imaginaire collectif à l’enfance, au plaisir de remplir de couleurs vives des cartes de géographie ou des albums de coloriage, cela ne fait aucun doute, et Sylvie Sauvageon l’avoue sans détour : « je recherche cet état où l'enfant prend un crayon et trace juste parce qu'il en a envie. Retrouver ce premier regard, le regard initial »[9]. Quoi de plus magique que ces bâtons de bois enrobés d’une couche brillante que l’on prend autant de plaisir à tailler en regardant tomber les dentelles de copeaux hexagonaux qu’à user la mine en allers-retours incessants ?

L’enfance n’est cependant pas seulement dans le plaisir d’un geste passé et familier, mais plutôt dans celui retrouvé d’une madeleine, travaillée dans le corps même de plusieurs des sujets convoqués : la tapisserie d’une chambre d’enfant, un jeu de construction, un tableau de Van Gogh figurant des roulottes et accroché dans le séjour, la caravane familiale, la presse populaire aux images glacées, les papiers d’usage de la boucherie du coin, la cour de l’école et les ruelles alentour… Ravivant ces lieux et ces moments par le dessin c’est à une étrange enquête sur la mémoire des formes et des signes que se livre Sylvie Sauvageon, sa mémoire personnelle, aussi bien que la nôtre, recomposant peu à peu le puzzle d’une histoire intime et pourtant collective. Ce n’est pourtant pas à proprement parler de nostalgie[10]dont il s’agit ici, mais plutôt d’un travail de remémoration interrogeant le passé au présent ou ce qui du passé fait son présent. Le temps du dessin, s’il ne cherche pas à produire d’explication lui permet, fouissant ces signes, de mesurer cet écart qui la constitue. Dessiner pour s’enraciner.

 

Temps réel, temps rêvé.

« La mémoire, le souvenir… Pas de vie sans mémoire. Pas de passé et pas de futur, pas même l'instant que le temps dissout au fur et à mesure qu'il passe. La mémoire nous crée. Hier matière de nos racines, elle est demain la sève de nos hivers. Je ne pense pas aux souvenirs que des moments d'exception poinçonnent dans nos esprits, mais à la mémoire du quotidien et des espaces familiers. » Lary Stolosh[11]

Les travaux exposés sont constitués de quatre ensembles qui mettent à jour (font sortir des boîtes) quatre temps de réalisations et renvoient à deux types de temporalité, l’une réelle– voire événementielle) l’autre imaginée ou rêvée. 

Les soixante papiers d’usage sont des reproductions à l’échelle 1 des motifs qui figurent sur des feuilles servant à emballer un produit consommable ; la grande majorité représente des enseignes de bouchers-charcutiers, mais s’y trouve aussi celles de poissonniers, de fromagers, d’un magasin de primeurs ou encore d’une supérette… Ces imprimés aux couleurs vives, et même criardes ou acidulées, contiennent des informations écrites avec une typographie parfois élégante mais désuète, accompagnée le plus souvent d’une illustration circonstanciée : veau, vache, cochon, volailles, poissons ou fruits, panier de la ménagère, vue champêtre ou villageoise…, le tout composé avec des jeux de médaillons ou de cartouches de formes diverses. Cette collection d’emballages périssables, aux tailles et formes différentes, est restituée au crayon de couleur sur des pages de format identique (65 x 50 cm.), souvent centrée, avec des marges variables. Par ailleurs quelques uns de ces papiers d’usage ayant servi de modèles contiennent, en fonction de leur taille ou de leur coupure, des jeux de répétition du motif imprimé, parfois tronqué indiquant bien qu’il s’agit d’un fragment. Notons encore que si certains accusent une usure par le froissé ou la déchirure, la plupart, contrairement à ce que nous indique le titre de cette série, n’ont pas gardé trace de leur usage[12]. Ce catalogue d’objets sans grande valeur, certes choisi avec humour et malice par Sylvie Sauvageon, ne vient pas d’un temps passé mais bien d’un temps présent. Malgré un traitement graphique démodé, ces papiers d’usage sont encore en cours et témoignent à leur façon d’une forme anachronique. Inscrits dans notre quotidien, ces papiers éphémères et fragiles que nous voyons sans les regarder convoquent des souvenirs plus anciens. Paradoxalement c’est dans ces signes sans âge qu’ils affichent et véhiculent que le temps suspend sa course. L’usage premier de ces papiers, hors considérations triviales, ne serait-il pas identique, une fois redessinés (reconsidérés), à celui d’un véhicule nous permettant de circuler dans le temps, de remonter en arrière tout en restant sur place ? Objets d’une mémoire vive qui contient ses passages temporels. « Sylvie Sauvageon a développé une archéologie mémorielle dont la technique patiente restitue avec précision et fidélité ces vestiges en en révélant la réalité ineffable. […]. Le tracé et le coloriage fonctionnent comme des analyseurs de l'espace mnésique; ils rapprochent et assemblent les éléments qu'ils ont libérés de la gangue anecdotique des lieux et des circonstances de leur découverte. » écrit Lary Stolosh.[13]

 

C’est un autre emballage, si l’on veut, de ceux qui couvrent les murs, dont il est question dans Habiter les maisons vides - Occupation. Quatre rouleaux de dix mètres reproduisent chacun un motif de tapisserie dont trois représentent des compositions florales figuratives et une composition florale géométrique. 

« Acheter un rouleau de tapisserie blanc, prendre des crayons de couleur. Choisir une tapisserie qui évoque un souvenir. Passer des heures à dessiner… C'est nécessaire. », indique simplement Sylvie Sauvageon comme pour justifier peut-être cette étonnante entreprise qui consiste à dérouler sur ces longues bandes de papier de grosses fleurs entrecroisées qui s’enchaînent sans trêve, des carrés aux bords arrondis qui s’emboîtent sans fin. Vertige d’une tâche qui pourrait ne jamais se finir, enivrement des jardins d’images de l’enfance associés à l’odeur des meubles cirés et des parquets qui craquent, ou des carrelages à damiers mouchetés sur lesquels se dresserait un mobilier en formica. Ce travail digne d’une Pénélope retient le temps tout en le faisant renaître : descendant dans le rouleau – car c’est bien ainsi que j’imagine qu’elle procède en dessinant – Sylvie Sauvageon remonte le temps, contourne un archipel de pétales, se lance vers d’autres îles en corolle, aborde les récifs découpés d’un feuillage, avant de retrouver plus loin et encore le même archipel. « La matière première de mon travail a toujours été ce qui m'entoure. C'est une sorte d'auto-fiction sans fiction et sans beaucoup de choses visibles de moi-même d'ailleurs. Pourtant tout est là, vécu. »[14]. Ces tapisseries, que Sylvie Sauvageon reproduit à peu près, existent vraiment, ou ont existé et correspondent à une partie de son histoire (et de la nôtre). Finis, les lés sont enroulés et mis en boîte. Les chemins de mémoire qui y ont été retracés se replient sur eux-mêmes et forment un cylindre qui pourra être rangé sur une étagère ou transporté ailleurs et être déroulé à nouveau. Dessiner jusqu’à l’épuisement du papier ce motif infini c’est voyager, mais comme un doigt glissant sur les lignes d’une carte routière semble pourtant en inventer les chemins.

La répétition présente dans les suites réalisées à partir des motifs imprimés des papiers d’usage ou celle présente de façon obsédante dans les tapisseries prend une toute autre forme dans le portrait plusieurs fois dessiné d’un jeune homme. Cette série est inspirée d’une photographie issue d’un journal, celle du visage de Mohamed Bouazizi, Tunisien qui s'est immolé en 2010 tout juste avant que ne débute le « printemps arabe ». Si cet évènement dramatique et ses conséquences ont retenu l’attention de Sylvie Sauvageon, c’est très certainement pour le paradoxe de cette image aux traits doux et angéliques masquant le désespoir de son sacrifice, le choix de démultiplier ce visage relève presque d’une catharsis. Sylvie Sauvageon a souvent reproduit des coupures de presse, des photos de magazines pourtant, ici, ce n’est pas tant la référence à la presse qu’elle choisit de mettre en avant que l’effigie elle-même. Aucun des dessins ne comporte une référence – même discrète – à l’imprimé qui a servi de point de départ. Le portrait est repris seul à l’échelle 1, pas une mais 24 fois. Aucun dessin n’est cependant tout à fait semblable à un autre. La raison de ces écarts s’explique par le processus de travail adopté, réalisant tour à tour les dessins sans que l’ensemble soit visible à ses yeux et ne le découvrant qu’à la fin du travail.

Deux temps réels se superposent dans cette série, celui de l’évènement, en 2010, et celui de la réalisation des vingt quatre portraits (qui n’en font qu’un) à l’été 2011. Un troisième temps, plus discret, se glisse d’une feuille à l’autre, marquant les laps qui - comme le feraient les 24 images/seconde d’un film - décompose (ou recompose), par les légers décalages du dessin, l’illusion d’un souffle et anime le visage disparu, le temps d’un regard. Et le voilà déjà qui « s’abîme ». Il y a, par la multiplication de ce portrait, par sa fausse réplique, l’élaboration d’une icône impossible, arrachée au temps réel, ressassée dans le temps de l’image, qui dit avec splendeur, mais sans virtuosité, l’impuissance folle à se saisir totalement des choses, des êtres, des événements même. Là où la photographie prétendrait consigner la réalité, le dessin ne peut que déplacer et réinventer une réalité nouvelle. 

C’est dans cet aller-retour entre ces différentes temporalités, entre événementiel et évènement, que se trame, se bâtit, pièce à pièce, l’univers de Sylvie Sauvageon : une reconstitution imaginaire parfois troublante de vérité, parfois improbable, parfois comptable d’un monde bien réel qu’elle bricole à sa guise en en dessinant les parties.

 

Ainsi, son travail le plus récent a comme point de départ un appel à projet [15]inspiré d’un autre évènement, aujourd’hui sans doute oublié, mais dont la presse des années 60 se fit écho, celui du lancement du premier satellite de télécommunication européen Symphonie I. L’installation Rêve de grand que propose Sylvie Sauvageon est constituée d’une part de lés de tapisserie dessinés auxquels sont superposés différentes reproductions de documents photographiques et d’autre part d’une série de petites sculptures en bois[16]posées sur un plateau. Le télescopage visuel entre le papier peint ici (re)devenu support (ou présentoir) et les images de presse marque, une fois encore, cette double temporalité réelle/rêvée, car si tous les objets reproduits appartiennent bien à une époque donnée, passée, leur association relève de la pure fiction. Les sources iconographiques utilisées pour les images s’appuient autant sur une documentation liée au projet de cette conquête spatiale que sur des clichés sans rapport direct prélevés dans des magazines : les signes se chevauchent, le temps du récit double celui de l’actualité. Les figures en bois disposées sur un plateau recouvert de grains de blé composent une maquette approximative de ce que fut le site de lancement de ce satellite dans le désert. Pièces de bois taillées et assemblées qui évoquent d’ailleurs davantage des vestiges archéologiques ou plus simplement un jeu d’enfant. Et, au fond, c’est peut-être de cela qu’il s’agit ici, non pas du rêve d’un enfant qui joue à mimer le monde des grands mais celui d’une adulte qui se réjouit en rejouant en grand des rêves d’enfant. Tenir un tant soit peu à ses rêves c’est grandir.


Philippe Agostini – Octobre 2015 

 

 

 

 

 

[1]Anne Cécile Guitard, « Entretien ». Avril 2012

[2]Depuis 2003 – Les invités

[3]Ibid, n.1

[4]Anne Cécile Guitard, « Entretien ».Avril 2012

[5]Ibid n.4

[6]- « … j'ai fait plusieurs dessins représentant, toujours à l'échelle 1, des espaces ou des "objets" : frigo, salon baroque, caravane, pelleteuse, kiosque à journaux […] Ces dessins sont tous réalisés au crayon de couleur et peuvent donc mesurer jusqu'à 4 mètres de long. » extrait del’Entretienavec Anne Cécile Guitard, 2012

[7]Ibid n4

 

[8]Jean Louis Roux « Le crayon a bonne mine »,Février 2011.

[9]Anne Cécile Guitard, « Entretien ».Avril 2012

[10]« … je n'ai aucune nostalgie, je ne revis pas hier pour ne pas vivre aujourd'hui. Mon travail me permet simplement de créer une matérialité à chaque fait. » extrait de l’Entretienavec - Anne Cécile Guitard, Avril 2012

[11]Lary Stolosh. « Eprouver la douceur des temps anciens ».Avril 2013 - Après la visite de l'exposition de Sylvie Sauvageon, "À l'ombre du doute", Galerie Ka&Nao (21 février - 30 mars 2013)

[12]Sylvie sauvageon précise en effet que « deux ou trois seulement n'ont pas servi – simple collecte - les autres ont été soigneusement lavés et séchés ! »

[13]Ibid, n.11

 

[14]Anne Cécile Guitard, « Entretien ».Avril 2012

[15]- Il s’agissait à l’origine d’un appel à projet (Nuit Blanche 2014) de l'Observatoire de l'Espace souhaitant « montrer  la vitalité de la construction européenne et sa capacité à susciter des récits contemporains autour de sa propre histoire ».

 

[16]-  Sylvie précise que « ces petites sculptures sont essentiellement taillées au couteau : toujours la simplicité du geste sans technique nécessaire mais aussi le souvenir de ces petites sculptures d'art populaire taillées par les paysans en montagne ».

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