top of page

En guise d’introduction.

 

 

Quand j’ai découvert l’œuvre de Sylvie Sauvageon, celle-ci partait de fresques de Giotto pour en extraire les architectures. Le résultat consistait notamment en reproductions à la gouache de ces fresques, desquelles les architectures avaient été supprimées, laissant le blanc du papier en réserve ; ou encore en maquettes blanches qui s’étaient comme dégagées de la composition initiale tout en perdant leurs couleurs. 

J’ai aussitôt été attirée par ce travail de copie, très éloigné de la simple reproduction d’œuvres à l’identique. En reproduisant (mais sur un autre support, avec d’autres matériaux et selon des dimensions différentes), en extrayant, en extrapolant, l’artiste libère les images de leur contexte original pour les mettre en relation les unes avec les autres.

Giotto n’est qu’un exemple parmi des centaines d’autres. Cette entreprise de reproduction, Sylvie Sauvageon la conduit depuis plusieurs années. Les images proviennent de sources multiples (œuvres d’art, documents, papiers d’emballage, couvertures de livres, etc.), rencontrées au hasard de ses lectures, de ses déambulations, de son quotidien. Elles ne seront pourtant reproduites qu’à la condition d’entrer dans une série, de s’inscrire dans un réseau, de se placer en miroir, en caisse de résonance, en sous-texte, en référence, bref, de nouer un lien avec les autres images. Elles trouveront ensuite leur place dans la boîte d’archivage que l’artiste leur aura fabriquée spécifiquement. 

Avec la série « Border la terre », Sylvie Sauvageon nous offre un nouvel exemple de ce travail systématique. En mettant en relation des cartes anciennes, des paysages de peintres, un herbier familial, des textes littéraires, des inventaires fabuleux, etc., elle construit sa propre représentation de la Terre, construction sans fin, mouvante, envahissante. Celle-ci couvre les murs de la galerie telle une Wunderkammer(*) contemporaine — Wunderkammer où, à l’émerveillement propre au 16e siècle, se mêlent d’autres sentiments tels que celui de la perte, la nostalgie, l’indignation, l’amusement, la reconnaissance. En effet, si le choix des images est déterminé par la curiosité, la réflexion, voire l’érudition, il n’est pas non plus exempt de raisons affectives. Leur présence fait s’élever de l’installation un bruissement à la fois intime et ample.

Ce qui fascine dans l’œuvre de Sylvie Sauvageon, c’est cette entreprise de lutte contre la mélancolie : la reproduction et la mise en relation des images rencontrées chaque jour sédimentent le cours du temps, endiguent sa fuite en tressant entre elles les époques. C’est aussi la façon dont ce rassemblement d’images crée de nouveaux continents, reconfigure la Terre, en inventant des embranchements secrets, des ramifications fécondes, des cours d’eau souterrains qui, tout en la révélant, la vivifient d’une manière nouvelle. 

 

                                                                   Anne Malherbe, mars 2024

 

(*) chambre des merveilles

bottom of page