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                       Vertige

 

Quand elle est allée pour la première fois à New York, Sylvie Sauvageon a pris des photos de tout ce qu’elle voyait. De retour chez elle, elle a dessiné chacune de ses photos. Véhicules, expositions, graffitis, des dizaines de dessins au crayon de couleur, tous du même format, presque scolaire, 24x30 cm. C’est sa façon à elle de prolonger le souvenir, de le posséder. Sylvie Sauvageon  s’approprie New York, cette ville qui est à tout le monde, elle la possède à présent. Elle l’a apprivoisée, maîtrisée. Ingérée. Sylvie Sauvageon est une ogresse. Il y a tant de gourmandise dans ses dessins, que l’on se sent attiré par eux comme Hansel et Gretel par la maison de pain d’épices. En plus, ils sentent bon, ses dessins. Le gris, riche, brillant, profond, du métal chromé des robinets des lavabos du PS1, par exemple, dégage un parfum de crayon d’enfance qui donne le vertige.

Sylvie Sauvageon possède aussi les livres. Depuis le 1erjanvier 2010, elle reproduit la couverture de chaque livre qu’elle lit. S’attarder ainsi sur la surface lui permet non seulement de prolonger la lecture mais de pénétrer l’œuvre, d’en devenir intime, et de la faire sienne. 

J’écrivais tout à l’heure le mot « vertige » ; il me semble que c’est celui qui vient devant le travail de Sylvie Sauvageon.

Devant ses immenses toiles - des lés, plutôt - où, de son propre aveu, il y a à chaque fois un détail qui lui échappe : le papier peint minutieusement reproduit est en fait dessiné à l’envers, la porte de la caravane (pourtant grandeur nature) n’est pas à l’échelle…

Comme si la réalité, à l’instar des enfants du conte de Grimm, refusant de se constituer prisonnière, parvenait toujours à s’évader. 

Alors, devant ses immenses œuvres, nous sommes en léger déséquilibre, et le vertige nous saisit.

C’est sans doute ce qu’elle a elle-même ressenti au Salon de Montrouge, en découvrant son immense « Caravane bleue à Mers sur Indre » (2,50 x 4,50m) que, faute de recul suffisant, elle n’avait encore jamais vue.

Car cette caravane, elle l’a dessinée à plat, le nez dessus, sans la voir. Sans en connaître la fin, pourrait-on dire.

Quand je lui ai demandé combien de crayons bleus elle avait utilisés pour la dessiner, elle m’a répondu qu’elle ne savait pas exactement mais qu’elle en avait conservé chaque bout.

Sylvie Sauvageon garde tout. Elle ne jette rien. Ses dessins sont classés, bien rangés dans des boîtes. Elle sait où se trouve chacun d’entre eux. Que se passe-t-il, quand certains sont vendus, quand ils lui échappent, quand elle ne les possède plus?  

Elle en souffre, ils lui manquent, c’est un déchirement. 

Alors Sylvie Sauvageon envisage sérieusement de les redessiner.

Redessiner ses dessins. 

Elle le fera, j’en suis certaine. 

C’est sans fin.

Une spirale se forme.

Et ces dessins aux crayons de couleurs de notre enfance, aux formats sages ou démesurés, nous entraînent dans des abîmes insoupçonnés. 

Oui, il y a vraiment chez Sylvie Sauvageon quelque chose qui donne le vertige.

 

 

                                                                       Emmanuèle BERNHEIM

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